lundi 15 juillet 2013

Falaises


     Les promeneurs s'extasiaient en jaugeant les hauteurs vertigineuses, ils prenaient des clichés des uns et des autres qui puissent figurer leur petitesse, tandis qu'on s'interrogeait en montant la falaise sur l'improbable sens de la vie. Pendant que le vent s'engouffrait doucement dans nos cheveux, on se disait  alors que je rabattais le col de mon trench que la vie n'avait pas d'utilité en soi, pas d'utilité a priori qui puisse nous dire sans hésitation pourquoi on est là, que du coup seule l'atteinte du bonheur, d'un bonheur à soi, pouvait donner ce sens dont on a tant besoin. Et finalement, on s'est avoué que le plus difficile était de savoir ce qui nous rendait heureux.
Mon bonheur à moi est fait de toutes petites choses, d'infimes particules, de détails qui le cisèlent, le façonnent jour après jour. Mon bonheur est comme une image qui se décompose en millions de pixels. L'éclat du ciel, le parfum et le galbe d'une fleur, le fumet d'un plat, le rire de mon fils, la découverte d'un lieu, des confessions autour d'un bon vin au creux de la nuit, un film qui remet en question ma conception de la vie, un coup de tête, une photo réussie, un livre envoûtant, l'odeur d'un gâteau au chocolat, revoir quelqu'un qui m'a manqué...me rendent heureuse.
Une fois la falaise gravie, on s'est allongé dans les hautes herbes qui ondoyaient et faisaient des vagues, prolongement verdoyant des vagues marines, en contre-bas. Un instant de bonheur encore, d'une simplicité confondante. Puis on a prolongé la balade au bord du vide jusqu'à entrapercevoir le port du Havre.
Dans la voiture, on écoutait forcément Etretat de Bachelet. On s'est dit que ce n'était finalement peut-être pas un suicide.
Le soir, on s'est émerveillé du magnifique jardin de nos hôtes et de la bâtisse en briques joliment usée, en son centre. Les roses Brocéliande et Muriel Robin, oui, avaient un parfum extraordinaire...La tablée était agréable, vivante.
Le lendemain, un paysan passionné nous a présenté son domaine ; le plus vieux manoir d'Etretat surplombant la mer, au milieu d'hectares de pâtures. Il nous a expliqué comment fonctionnait cet écosystème qui lui permet de faire un délicieux fromage de chèvre et des chocolats au lait de chèvre. J'ai eu envie, plus que jamais, de m'éloigner de la ville, de m'installer dans un coin de campagne comme celui-là, d'être entourée de gens comme ça, qui savent comment les choses fonctionnent et comment nourrir les autres. Je n'en peux plus d'acheter mes légumes sous film cellophane.
Les chocolats, dévorés sur un coin de table, nous ont conquis. Chacun d'eux formait comme une petite timballe de chocolat noir croquant renfermant une ganache mousseuse à différents parfums : nature, citron, orange, Calvados, noix, praliné, Bénedictine...Le lait de chèvre apporte une profondeur insoupçonnée au chocolat. Les fromages ont été engloutis le soir même sur la minuscule table en bois du balcon avec du pain de campagne, du miel et un Bordeaux, en compagnie d'un copain qui passait par là. J'avais disposé les fromages en cercle dans une assiette selon leur degré d'affinage et on les goûtait les uns après les autres, en suivant scrupuleusement cet ordre. C'était comme un jeu. Ce soir-là, beaucoup de choses secrètes ont été dites.
Et depuis, les cartons s'amoncellent dans l'appartement, les placards se vident et dans certaines pièces, presque nues déjà, l'écho nous répond. Seul l'Argentin de la rue du Montparnasse est venu couper cette routine détestable. La viande succulente, la sauce et les frites aux herbes ont été une vraie bulle réconfortante. Là-bas, le serveur ne s'offusque pas que vous lui demandiez une cuisson pile entre saignant et à point. Et la cuisson de la viande arrive cuite parfaitement entre les deux pour atteindre la perfection. On y retournera encore.
Dans une semaine se tournera une nouvelle page. J'ai hâte.

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